05 décembre 2025
E comme l'Écrivain de Noël
Dans le Pays du Père Noël, tout est magique. Et la magie agit différemment qu'ailleurs. Là-bas, l'âme des mots prend vie. Les lettres et les phrases sortent des livres pour danser la plus magnifique des farandoles, puis tournoient en cercle autour de la tête de l'Écrivain de Noël, formant une couronne scintillante qui se dépose délicatement sur son front.
L'Écrivain de Noël n'est pas un personnage comme les autres. Il n'a pas de nom propre, pas de visage que l'on pourrait dessiner. Il est simplement celui qui écrit, caché derrière son livre, protégé par sa plume. Il est l'essence même du conteur.
Lorsqu'il lève sa plume comme on lève une baguette magique, les mots se transforment en tapis volant, puis en ciel bleu, puis en superqualifragili, puis en monde chocolaté. Mais il sait qu'il ne faut pas trop en mettre - ni trop de descriptions, ni trop de virgules - car il risquerait d'être submergé par trop de stimuli. Il faut que l'histoire évolue, qu'elle respire, afin de tourner la page et d'en remplir une nouvelle.
La nuit du vol
Cette nuit-là, l'Écrivain de Noël dormait paisiblement, sa plume dorée et son livre relié de cuir rangés sous son oreiller comme chaque soir. C'était là sa façon de les garder près de lui, de sentir leur présence même dans ses rêves.
Mais dans l'obscurité glacée de sa montagne, le Grinch avait échafaudé un plan. Lui qui détestait Noël et tout ce qui brillait, qui scintillait et qui chantait, avait décidé de s'attaquer à la source même des histoires qui faisaient rêver les enfants.
Pour s'assurer que l'Écrivain dorme profondément toute la nuit, le Grinch avait emprunté - ou plutôt volé - à Mère Noël sa harpe magique. Celle-là même dont les notes pouvaient plonger n'importe qui dans le sommeil le plus profond.
Le Grinch se glissa dans la chambre, fit résonner doucement les cordes de la harpe. Une mélodie enchanteresse s'éleva, enveloppant l'Écrivain d'un voile de sommeil encore plus profond. Puis, avec précaution, il glissa sa main verte sous l'oreiller et s'empara de la plume dorée et du livre précieux.
Et il disparut dans la nuit.
Le réveil terrible
L'Écrivain de Noël se réveilla doucement, bercé par les dernières notes de la harpe qui s'estompaient dans l'air. Quelque chose n'allait pas. Sa tête s'enfonçait trop dans l'oreiller - trop doux, trop vide. Il manquait quelque chose.
Il tâtonna machinalement, cherchant le contact familier du cuir du livre, la légèreté de la plume...
Rien.
Ses doigts ne rencontraient que du tissu. Il souleva l'oreiller d'un geste brusque. Le vide. Un vide blanc, froid, terrible.
Et soudain, sa poitrine se serra. L'air ne passait plus. Il porta la main à sa gorge, toussa, suffoqua. Les mots sont son oxygène. Le livre est son cœur. La plume est son sang. Sans eux, il n'est rien.
Il s'effondra sur le parquet, la respiration sifflante, de plus en plus faible. Et là, horrifié, il le vit : son pied gauche devenait transparent. Les orteils d'abord, puis la cheville. Comme une encre qui pâlit, comme des mots qu'on gomme.
Dans sa tête embrumée, une pensée surgit : Quelqu'un prendra le relais. Un nouveau livre apparaîtra. Un nouvel Écrivain de Noël...
Mais combien de temps ? Un an ? Dix ans ? Un siècle, comme cette fois où le monde avait failli oublier la magie de Noël ?
Pendant tout ce temps, plus d'histoires. Plus de voyages imaginaires. Plus d'enfants transportés dans des mondes merveilleux.
Non.
Même mourant, même disparaissant, il refusait. Il n'est qu'Écrivain, mais c'est TOUT ce qu'il est - et c'est suffisant. L'écriture n'est pas dans la plume. Elle est en lui.
La résurrection par le verbe
Ses doigts tremblants effleurèrent le parquet. Là, une planche cassée, une écharde qui dépassait. Il l'arracha avec l'énergie du désespoir. Du bois brut. Pas de l'or, pas de la magie apparente.
Mais ça ferait l'affaire.
Paralysé, à bout de souffle, il commença à graver dans le bois :
"Personne ne peut terrasser l'imagination. Elle vit en nous. Elle vit en moi."
Les lettres gravées s'illuminèrent une à une. D'abord timidement, puis de plus en plus fort. Un or chaud, vivant, pulsant.
Les mots se détachèrent du parquet comme s'ils prenaient leur envol. Mais au lieu de s'envoler, ils se mirent à danser, à se rouler, à se dérouler le long de son corps inerte. Des rubans de lumière dorée qui l'enveloppaient, remontaient le long de sa jambe...
Là où son pied gauche avait disparu, là où il n'y avait plus que du vide transparent, les lettres se rassemblèrent. Elles tournèrent, tourbillonnèrent, formèrent un halo doré qui dessina la silhouette d'un pied. Puis lentement, comme une aquarelle qui reprend ses couleurs, la chair revint. Les orteils, la cheville, le talon. Solide. Réel.
L'énergie dorée continua sa course dans tout son corps. Elle circula dans ses veines comme une encre précieuse, ralluma chaque cellule, chaque souffle.
Et soudain, il l'entendit :
Boum... boum... boum...
Son cœur. Qui battait de nouveau. Régulier, fort, vivant.
Et sa respiration - plus de suffocation, plus de panique. Juste ce doux murmure, cette respiration tranquille comme le va-et-vient des vagues sur le rivage.
Il était vivant. Il ÉTAIT.
Parce qu'il avait écrit.
L'illumination
L'Écrivain de Noël se releva, encore tremblant mais animé d'une urgence nouvelle. Pas le temps de chercher le Grinch. Pas le temps de pleurer sur la perte de son livre et de sa plume.
Ce qui comptait, c'était l'essentiel.
Les détails pouvaient s'oublier - quelle importance, la couleur exacte d'un ruban, le nom précis d'un jouet ? Mais l'essentiel, cette magie qui fait battre les cœurs, qui fait briller les yeux, qui fait croire... ça, on ne pouvait pas le perdre.
Et cette magie devait être ressentie. À chaque page qui se tourne, à chaque mot qui se lit.
Il regarda par la fenêtre. Dehors, la neige tombait en silence, infinie, généreuse.
La neige.
Bien sûr ! S'il avait pu écrire sur le parquet, pourquoi pas sur la neige ?
Mais la neige était tellement plus que du bois. La neige était vivante. Elle était mouvement perpétuel, transformation éternelle. Eau qui devient cristal, qui redevient eau, qui s'évapore vers le ciel, qui retombe ailleurs, autrement, sous forme de pluie ou de neige à nouveau.
Un cycle sans fin.
Et si... et si son histoire s'inscrivait dans la neige ? Chaque flocon portant un mot, une phrase, un morceau de magie. La neige tomberait partout dans le monde, transportant l'essentiel, déposant la magie de Noël dans chaque jardin, sur chaque toit, dans chaque cœur.
L'histoire ne serait plus enfermée dans un livre. Elle deviendrait universelle, éphémère et éternelle à la fois.
Il se précipita dehors, pieds nus dans la neige froide, tomba à genoux et commença à écrire avec ses doigts...
La magie invisible
On ne saura jamais ce que l'Écrivain de Noël traça dans la neige. Parce que ce n'était pas l'histoire elle-même qui comptait - c'était ce qu'elle réveillait.
Pas de mots précis. Pas de récit qu'on pourrait réciter. Juste... une sensation. Un frisson de bien-être qui se propageait avec chaque flocon. Une étincelle. Un eureka qui naissait quelque part au fond de l'âme.
Partout dans le monde, ce matin-là, des gens regardaient la neige tomber.
Ludivine contemplait les flocons par la fenêtre, une tasse de chocolat chaud entre les mains. Et soudain, sans savoir pourquoi, elle comprit. Elle n'était pas qu'un personnage dans l'histoire de quelqu'un d'autre. Elle était l'auteur ET le héros de sa propre vie.
Soann buvait son thé, pensif. La vapeur montait en volutes. Et là, ça le frappa : il pouvait écrire son propre chemin.
Axel avec son café, Titi avec son lait chaud... et tant d'autres.
Tous, au même instant, ressentirent cette vérité qui coulait en eux comme une évidence : ils pouvaient créer.
Alors ils se levèrent, presque en transe. Leurs mains trouvèrent un carnet, un stylo. Et l'écriture commença. Les courbes, les pirouettes, les chutes dramatiques, les rebondissements inattendus. Des histoires qui jaillissaient, différentes, uniques, personnelles.
Des histoires qu'ils partageraient avec le monde.
L'Écrivain de Noël n'avait pas seulement sauvé la magie. Il l'avait multipliée. Il avait fait de chaque lecteur un écrivain.
Dans la caverne du Grinch
Pendant ce temps, dans sa caverne glacée, le Grinch contemplait son butin avec satisfaction. La plume dorée brillait faiblement dans l'obscurité. Le livre relié de cuir reposait sur la table de pierre froide.
Il les avait. Il avait volé la magie de Noël.
Mais alors qu'il tendait la main pour toucher la plume, celle-ci commença à se désagréger. Comme de la poussière d'étoile qui perd son éclat. Les particules dorées s'envolèrent, se dispersèrent dans l'air glacé de la caverne.
Le livre, lui, se craquela. Les pages jaunirent, s'effritèrent, tombèrent en confettis blancs qui tourbillonnèrent doucement avant de se poser sur le sol...
Et là où chaque morceau toucha la glace, quelque chose se produisit.
La glace se fendit. Des tiges vertes percèrent la surface gelée. Des fleurs transpercèrent la neige - délicates, blanches, lumineuses. Elles se nommaient perce-neige. Magnifiques dans leur fragilité. Vivantes malgré le froid.
Le Grinch recula, d'abord surpris. Puis la colère monta. Cette beauté qu'il n'avait pas voulue, cette vie qui surgissait malgré lui, ce témoignage que la magie persistait même quand on essayait de la voler...
"NON !" gronda-t-il.
Il s'éloigna des fleurs comme si elles le brûlaient et s'enfonça plus profondément dans sa montagne, vers le froid, vers l'obscurité, loin de cette beauté insupportable.
La libération
L'Écrivain de Noël ressentit la transformation au loin - la plume qui redevenait poussière, le livre qui se faisait fleur. Un pincement au cœur, peut-être. Mais pas de panique cette fois. Pas de suffocation.
Juste... l'acceptation.
Tout est cycle. Tout se transforme. Rien ne meurt vraiment, tout renaît autrement.
Alors il continua d'écrire dans la neige avec ses doigts. Les mots coulaient, libres, joyeux. Et soudain, une impulsion folle le saisit.
Il se laissa tomber en arrière dans la neige fraîche. Étendit les bras. Bougea les jambes de haut en bas, de bas en haut. Les bras aussi, comme des ailes qui battaient.
Un ange des neiges.
Lui, l'Écrivain, qui avait toujours décrit les choses, qui avait toujours raconté les histoires des autres... le voilà qui s'illustrait lui-même. Qui devenait image. Qui devenait partie de l'histoire plutôt que simple narrateur invisible.
Il se releva et contempla son œuvre : la silhouette de l'ange gravée dans la neige blanche. Simple. Pure. Belle.
Et il sourit.
Ça lui plaisait énormément, tout ça.
Pour la première fois, il n'était plus seulement l'Écrivain caché derrière son livre, protégé par sa plume.
Il était libre.
FIN
Morale de l'histoire : La vraie magie n'est pas dans les outils, mais dans l'âme de celui qui crée. Et parfois, perdre ce qu'on croit essentiel nous permet de découvrir ce qui l'est vraiment.
© Ninie Mayor 2025




